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Chapitre 12
La jeune femelle blanche et noire mordit dans la chair rêche du rongeur face à elle. La viande était humide avec un certain goût de terre. Frissonnant de dégoût, la novice avala sa bouchée. Une goutte d'eau atterrit sur son oreille et elle l'agita pour la chasser. Collé contre elle, sa sœur Patte de Pluie partageait avec elle la proie. Leurs pelages trempés se mêlaient et l'odeur de la pluie régnait aux alentours. Patte de Givre repoussa la proie du bout du museau afin de laisser le reste à sa sœur.
<< Mais tu n'as presque rien mangé! s'étonna cette dernière en calant le rongeur entre ses pattes grises.
- Je n'ai pas faim. >> maugréa la novice en se levant et s'étirant.
Elle roula tous les muscles de son corps, chassant la paresse qui s'emparait d'elle et bailla. Elle baissa la tête et fourrant son museau dans ses longs poils blancs qui s'emmêlaient sur son poitrail se mit à les réordonner.
Depuis la conversation avec Patte de Pluie, survenue il y a une lune de cela, leur relation c'était améliorer. Patte de Givre avait cessée d'en vouloir à sa sœur pour la vie simple qu'elle menait et faisait un effort pour ne pas se morfondre comme une pierre. Mais pourtant, la solitude lui pesait encore, hormis Patte de Pluie, elle n'était proche de personne d'autre. Et surtout, bien que chaque jour elle se jurait de ne pas y penser, dès qu'elle fermait les yeux, le visage peiné de Noireaud lui revenait et brisait son cœur. Depuis qu'elle l'avait quitté, il y a de cela une lune et demie, elle n'y était pas retournée. L'apprentie ne savait même pas s'il y était encore ou s'il était retourné dans son groupe, s'il allait bien et s'il pensait à elle. Elle avait fait tout son possible pour ne pas se rendre près des collines afin de ne pas être tentée d'aller le retrouver. Ce qui avait parfois donné naissance à des réprimandes de la part de Croc d'Argent lorsqu'elle désobéissait en refusant de chasser là-bas.
Elle se rendit soudain compte que Patte de Pluie l'appelait. La femelle grise et blanche avait finit de manger et attendait, recroquevillée près d'elle, un écureuil en gueule. La novice blanche et noire hocha la tête pour lui signifier qu'elle était d'accord puis se tourna pour happer le cadavre d'un jeune corbeau par les plumes. Enfin, les deux apprenties rampèrent hors du buisson où elles s'étaient abritées et foncèrent à toute vitesse à travers la forêt.
Les deux chattes s'étaient vues confier une mission de chasse par leurs mentors, la tribu manquant de gibier en cette saison froide. La pluie c'était soudain mise à tomber, martelant le dos des femelles. Elles s'étaient donc faufilées sous un gros buisson en attendant que le temps se calme un peu. Mais il était déjà tard et la pluie n'avait pas cessée, aussi elles avaient décidées de rentrer sans tarder.
Elles arrivèrent enfin au camp. Le pelage trempée, les deux sœurs ne se consultèrent même pas et filèrent respectivement dans la pouponnière et la tanière des anciens.
Patte de Givre trouva les deux anciens endormis, roulés en boule dans leurs litières. Elle déposa le corbeau près d'eux et recula pour sortir. En se retournant et en les voyant ainsi, si proches, deux félins ayant partagés toute leur vie ensemble, l'absence de Noireaud lui pesa à nouveaux sur les épaules. Elle soupira et se retira silencieusement de façon à ne pas réveiller le vieux couple.
La pluie s'était calmée dehors et le soleil commençait à percer les nuages sombres. La novice décida d'aller chercher sa sœur qui n'était pas encore sortit. Patte de Givre pénétra dans la tanière des chatons. Elle vit alors sa sœur qui discutaient vivement avec les trois petits de Feuille Sombre qui lui posait des tas de questions sur la vie d'apprenti. Petit Lilas bondissait sur place.
<< Es ce que tu pourras être mon mentor quand je serai apprenti? >> questionnait-il incessamment.
Patte de Pluie rigola et lui répondit qu'elle n'était pas encore guerrière tandis que leur mère leur expliquait que c'était de toute manière Ciel Doux qui choisissait. Patte de Givre salua Pelage de Feuille d'un signe de tête. La reine écaille surveillait attentivement ses deux chatons restants, Petit Chêne et Petit Nuage qui jouaient avec une boule de mousse non loin. Petite Coccinelle était morte peu de temps auparavant, d'une épidémie de mal vert.
Beaucoup de félins avaient été touchés dans toutes les tribus et celle de la Lumière avait eu du mal à s'en remettre. Fort heureusement, Fleur Douce, la guérisseuse de la Tribu des Ténèbres avaient d'importantes réserves d'herbes à chats et avaient aider tout le monde. Patte de Givre avait eu de la chance et n'avait contractée qu'un rhume tandis que Patte de Pluie un début de mal blanc. A nouveau le cœur de Patte de Givre se serra en pensant que Noireaud avait pu être malade lui aussi.
Elle fut tirée de ses pensées lorsque la boule de mousse des deux chatons lui atterrit sur le museau. Aussitôt, une petite boule de poils blanche accourut jusqu'à elle et ramena la boule jusqu'au nid sans un mot.
<< Petit Nuage! grogna gentiment Pelage de Feuille, entre deux bouchées d'écureuil. Tu pourrais au moins t'excuser. >>
Le petit mâle bafouilla quelques mots avant que son frère ne lui bondisse de nouveau dessus, lui arrachant un cri de surprise. Cela fit ronronner Patte de Givre et elle rassura la reine d'un signe de tête. C'est alors que Patte de Pluie et les chatons se rendirent compte de sa présence. Aussitôt, Petite Alouette bondit vers elle.
<< On va être fait apprentis! C'est Ciel Doux qui l'a dit! >>
Patte de Givre lui ronronna ses félicitations. Pourtant, elle n'arrivait pas à être heureuse pour les trois chatons qui avaient partagés la pouponnière avec elle et sa sœur. Toutes ses pensées étaient tournées vers la combe dans la forêt au delà des collines, vers Noireaud. Elle tenta de les chasser mais le visage du jeune matou ne quittait pas un instant sa mémoire. La voix de Feuille Sombre la tira de ses pensées.
<< Je compte sur toi, Patte de Pluie pour les surveiller.
- Nous surveiller? râla gentiment, Petite Fougère, coupant la parole à Patte de Pluie qui ouvrait la gueule pour répondre. On n'est plus des chatons!
- Tant que Ciel Doux ne vous aura pas donner vos noms d'apprentis, vous serez toujours mes petits chatons. >> ronronna la reine tandis que ses deux filles lui bondissaient sur le dos et que Petit Lilas s'attaquait à sa queue.
Petit Nuage et Petit Chêne s'empressèrent de les rejoindre. Patte de Pluie se mit à rire mais Patte de Givre n'arrivait pas à se mêler à la joie qui régnait dans la pouponnière. Soudain, le cri de rassemblement de la cheffe retentit dans la clairière. Les futurs apprentis bondirent et se mirent à cavaler vers la sortie en criant de joie.
<< Revenez ici! Vous n'allez pas vous présenter à toute la tribu dans cette état! >> grogna Feuille Sombre en les rattrapant.
Ses chatons, penaud, s'assirent et attendirent qu'elle passe sa langue rapeuse sur leur pelage encore duveteux. Petit Chêne et Petit Nuage, rejoignirent Pelage de Feuille.
<< On peux y aller? geignit le mâle brun tigré.
- Si vous me promettez de rester sage. accepta la reine écaille.
- Oui! >> s'écrièrent les deux jeunes en courant jusqu'à la sortie.
Patte de Givre s'empressa de les suivre et alla s'asseoir avec le reste de la tribu, dans un coin en reclus. Sa soeur la rejoignit et se colla à elle. La chatte blanche et noire ne dit rien et posa son regard sur Ciel Doux, perchée sur un rocher trempé. La fourrure dorée de la cheffe collait contre le roc sombre mais cela ne semblait pas la déranger.
<< En ce jour, nous sommes réunis pour baptiser trois nouveaux apprentis. Petit Lilas, Petite Alouette et Petite Fougère sont prêts à débuter leur entrainement. >>
La cheffe fit signe aux chatons d'approcher. Petite Fougère fut la première à se lancer. La chatonne brun tigré et blanche s'assit devant le rocher, ses yeux verts brûlants d'impatience.
<< A partir d'aujourd'hui ton nom sera Patte de Fougère et ton mentor sera Griffe Épineuse. >>
La nouvelle apprentie rejoignit la chatte dorée et blanche au petit trot. Ce fut ensuite sa sœur qui s'approcha.
<< Ton nom sera à présent Patte d'Alouette et Poil de Grive se chargera de ton entrainement. >>
Il ne restait plus que Petit Lilas. Le chaton blanc lançait des regards inquiets autour de lui, intimidé de se retrouver au centre de l'attention. Cœur Vif poussa du bout du museau son fils.
<< Tu te nommes maintenant Patte de Lilas et Œil de Mulot t'enseignera les valeurs des guerriers. >>
Le guerrier gris et blanc fit signe au petit chat de s'approcher. Patte de Lilas hésita un instant et fila s'asseoir près de lui. Quelle idée de confier un si petit chat, sans doute apeuré par sa propre ombre à un aussi grand et imposant guerrier. renifla intérieurement Patte de Givre. Tandis que la tribu allait féliciter les nouveaux apprentis, Patte de Givre s'éloigna à petits pas.
<< Tu ne viens pas? s'étonna Patte de Pluie en la retenant.
- Non, je suis fatiguée, je vais dormir. >>
La novice grise et blanche n'insista pas et laissa sa sœur pénétrer dans la tanière des apprentis. La chatte blanche et noire se roula en boule dans son nid et soupira. On va se retrouver à l'étroit à sept là dedans. Elle ferma les yeux et soupira de plus belle. Pourquoi n'arrivait-elle donc jamais à se réjouir pour ses camarades? Était-elle aussi égoïste que cela? Doucement, la sommeil l'emporta.
Patte de Givre ouvrit les yeux dans une douce clairière baignait par la lumière de la lune argenté qui scintillait dans un ciel remplie d'étoiles. Le murmure d'un ruisseau retenti dans ses oreilles. La petite chatte regarda émerveillée les alentours. Les arbres étaient fins et leur écorce semblait pourvue de poussière d'étoile ; leurs feuilles argentés se balançaient au gré du vent ; des étoiles bougeaient dans le ciel violacé ; l'herbe douce était parsemée d'innombrables petites fleurs de toutes les couleurs. Es-ce le territoire de la Tribu des Cieux? Suis-je morte? songea la novice sans pouvoir se détourner de la beauté du lieu.
Soudain, une lumière attira son attention. L'apprentie pivota pour découvrir sa provenance : un petit papillon voletait près d'elle, ses ailes dorées semblaient transparentes, comme la lumière du soleil. Fascinée, Patte de Givre le regarda pendant un moment. Puis, l'insecte s'éloigna en direction des arbres.
<< Reviens! >> cria l'apprentie en se lançant à sa poursuite.
Elle fila à toute vitesse parmi les hautes herbes pour ensuite pénétrer dans les sous-bois. Mais le papillon avait disparu. Elle chercha un moment avant de le retrouver, posé sur le tronc d'un arbre. Ses ailes bougeaient de haut en bas mais il restait immobile. A pas feutrés, la jeune chatte s'approcha et tendit le cou pour le renifler. Ses ailes lui chatouillèrent le museau et elle éternua.
Aussitôt, la lumière disparut. Le papillon se volatilisa et Patte de Givre se retrouva seule, dans le noir. Un étrange sentiment lui survient alors. Elle se sentait observée, épiée. Mais seul le noir complet l'entourait. Tapie contre le sol devenue froid et dur, elle avança. Ses pattes tremblaient et sa fourrure se hérissait sur son échine. Au loin, une faible lumière scintillait. Courant, la femelle voulut la rejoindre mais elle semblait s'éloigner un peu plus à chaque pas qu'elle faisait. La lumière disparut soudain. Frustrée, Patte de Givre feula et se laissa tomber au sol. Les larmes lui vinrent aux yeux et son coeur allait éclater, compressé par la peur. La lumière revient alors, derrière la femelle.
Lorsqu'elle se retourna, se qu'elle vit lui coupa le souffle et les larmes n'attendirent pas plus pour couler le long de ses joues. Le papillon voletait doucement, éclairant de sa douce lumière un félin allongé au sol. L'insecte piqua vers lui et se posa sur son museau. Hésitante, Patte de Givre s'approcha, tremblant de tous ses membres. Elle avait reconnut le chat étendu là, juste devant elle, baignant dans une mare de sang qui gagnait de plus en plus de terrain. C'était celui qui occupait la moindre de ses pensées : Noireaud. Une plaie immense parcourait le poitrail du mâle jusqu'à la base de sa queue, déversant un infinité de sang pourpre. Tandis qu'elle s'approchait, le papillon qui battait des ailes sur le museau noir du mâle s'envola et se mit à voleter en cercle au dessus d'eux. La novice blanche toucha le museau du mâle avec le sien, comme pour le réveiller après une sieste. Noireaud ouvrir alors doucement ses yeux jaunes. Lorsqu'il vit le visage de la jeune femelle, une terreur sans nom se dessina sur son visage et il se mit à crier de toutes ses forces, faisant couler le sang de plus en plus, tâchant les pattes noires de la chatte.
<< C'est de ta faute! hurlait-il épouvanté. C'est toi! Toi qui m'as tué! C'est de ta faute! >>
Patte de Givre recula horrifiée, ses pattes pouvant à peine la soutenir et les larmes coulant à flot sur son visage.
<< Je... Je ne voulait pas... Ce n'est pas moi... >>
Noireaud se leva alors, le sang se déversant toujours sur le sol, et avança en trébuchant vers elle. Il colla son museau contre celui de la femelle.
<< C'est de ta faute. >>
Patte de Givre se réveilla en sursaut. Son coeur battait follement dans sa poitrine. Elle s'assit, tremblante et contempla ses pattes noires en soupira de soulagement en ne voyant pas de sang. Près d'elle, Patte de Pluie remua.
<< Tout va bien? murmura sa sœur d'une voix ensommeillée.
- Oui. parvint à articuler la novice blanche et noire. Juste un cauchemar. >>
Patte de Pluie marmonna quelque chose et replongea dans le sommeil. Patte de Givre resta un moment assise sans bouger, détaillant chaque branche de la tanière des apprentis. Puis, elle se leva doucement et prenant garde à ne marcher sur la queue à personne, elle sortit. Le camp était silencieux et la lune presque pleine filtrait à travers les fins nuages. Tout le monde dormait et aucune sentinelle n'avait été désignée pour cette nuit là.
Elle se glissa hors du camp et se mit à courir sous le rayon argenté de l'astre nocturne. Elle courut jusqu'à perdre haleine, parcourant une grande partie du territoire. Ses pensées se mélangeaient dans sa tête et son cœur battait follement dans son poitrail, animé par la peur et l'excitation. La femelle obliqua soudain et gravit sans s'arrêter les collines qui bordaient son territoire. En haut, elle s'arrêta et fit une pause, haletante. Patte de Givre contempla les territoires des tribus, baignaient par la nuit et la lune. Son cœur se serra un peu plus en songeant à la première fois qu'elle avait vu ce spectacle, avec Noireaud. Elle ferma les yeux et tentant de réprimer les frissons qui la prenaient de toutes parts, elle recula et dévala la pente avant de filer dans les bois sombres. Elle voulait savoir, elle avait trop longtemps attendue, trop longtemps résisté. A présent, son cœur ne pouvait plus se passer de lui. Elle avait besoin de Noireaud, de savoir s'il allait bien. Son affreux cauchemar lui revient en tête et elle accéléra le pas. Enfin, les lieux devinrent familiers. La novice ralentit pour ne pas louper la combe et tomber dedans, comme elle l'aurait fait si Noireaud n'avait pas été là la première fois.
Elle y arriva finalement. Devant elle se dressait la combe. Le murmure de la cascade se faisait entendre, berçant l'esprit tourmenté de la jeune femelle. Cette dernière s'assit au bord et jeta un œil en bas. Tout était calme et aucun signe de vie n'était apparent. Patte de Givre sentit l'inquiétude la gagner. Mais en humant l'air, elle se rendit compte que la douce odeur de Noireaud était présente un peu partout sur le sol. Elle était fraiche, ce qui voulait dire que le matou allait bien. Malgré tout, les pattes de l'apprentie refusaient de bouger. Elle avait peur, peur de la réaction du mâle après leur dernière rencontre, qu'il la rejette. Elle ferma les yeux et soupira, puis après avoir pris une grande inspiration se leva et s'approcha du chemin menant en bas.
<< C'était une erreur de venir ici! >> cracha-t-elle, en faisant demi-tour.
A peine avait elle fait quelques pas, qu'une voix familière retentit derrière elle.
<< Vraiment? >>
La novice blanche se retourna et vit avec stupéfaction Noireaud se dresser devant elle. Le matou arborait un pelage lisse et soyeux et ses yeux pétillaient de joie. A ses pattes se trouvait une corneille morte. Patte de Givre sentit son coeur exploser, joie, nostalgie, soulagement mêlés. Sans rien dire, elle s'approcha du jeune mâle et fourra son museau dans sa douce fourrure en humant son parfum.
<< Tu m'as tellement manqué. >>
(juste, lisez le passage où PDG part pour retrouver avec la musique : All we do de Oh Wonder je trouve que ça leur va trop bien x)
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