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    Petite Pluie ouvrit les yeux. Puis doucement, prenant garde à ne pas réveiller sa sœur, Petite Boule de Givre, blotti au creux du ventre de leur mère, Douce Lune, elle se mit debout et sauta hors du nid. Elle commença à se lécher la patte avant, comme leur mère leur avait appris. Ce faisant, elle jeta un œil alentours. La pouponnière était calme. Un peu plus loin, Feuille Sombre était blotti contre trois boules de poils. Ses petits, Petit Lilas, Petite Alouette et Petite Fougère avait trois lunes, soient deux de moins que Petite Pluie et sa sœur. Douce Lune et Feuille Sombre étaient les seules reines de la pouponnière, même si Pelage de Feuilles avait la veille annoncée qu'elle attendait les chatons de Poil de Feu.

    Petite Pluie passa la tête hors de la pouponnière. L'aube se levait à peine et le camp était désert, à l'exception de Poil de Soleil qui montait la garde, près de la barrière de ronce qui bordait le camp, perché sur un petit rocher. Lorsqu'il vit la chatonne, le matou blanc tigré roux pâle la salua d'une ondulation de la queue. Petite Pluie repéra la pile de gibier, bien garnie en cette saison chaude et se rendit compte qu'elle avait faim. La femelle grise et blanche bondit jusqu'à celle-ci et enfuie son petit museau entre les proies, afin de trouver la meilleure possible. Elle repéra une musaraigne vers le fond et se contorsionna pour l'attraper. Chose faite, elle alla s'installer près de l'entrée de la pouponnière et attaqua à petit coup de crocs le rongeur, balayant le camp du regard.

    Il était situé dans un petit groupe de buissons qui bordait un groupe d'arbres au milieu de la lande. Petite Pluie repéra la fourrure grise de Patte Ruisselante qui faisait sa toilette dans le buisson abritant la tanière des apprentis. Non loin, un peu en recul se tenait celle du guérisseur, Cœur Vif. Le mâle brun et blanc s'affairait déjà auprès d'Eclat Sombre. Le guerrier noir au pattes blanches s'était tordu la patte dans un terrier de lapin et devait donc rester au camp un moment. Nul bruit ne parvenait du gros buisson abritant l'antre des guerriers. D'ici, Petite Pluie repéra les fourrures mêlées de Pelage de Feuille et de Poil de Feu qui dormaient lovés près de l'entrée. La tanière des anciens étaient entre le tronc d'un arbre et un roc. Puis, de l'autre côté du camp, un petit chemin menait à une clairière où était placée l'antre de Ciel Doux, la cheffe. Cette dernière dormait dans une petite caverne abritée par de gros rochers.

    Si Petite Pluie le savait c'est qu'elle s'était amusée avec sa sœur à l'explorer un jour que la meneuse était partie en patrouille. Les deux chatonnes avaient jouée sur la litière de la femelle rousse pâle ; Petite Pluie était la cheffe, Ciel de Pluie, qui donnait des ordres à sa lieutenant, Eclat Givré. Lorsque Ciel Doux les avait découverts, elle les avait réprimandés, mais son ton était doux et joyeux, ses moustaches frémissantes.

    Petite Pluie repoussa la musaraigne du bout de la patte : elle n'avait plus faim. Cependant, l'idée de gâcher du gibier l'opprimait. Malgré son jeune âge, elle savait que même en pleine saison chaude, on ne gâchait pas les proies. Ainsi, elle se força à avaler une bouchée de plus. Soudain, l'odeur de sa sœur lui parvint. Du coin de l'œil, elle vit Petite Boule de Givre sortir de la pouponnière et bondir vers elle.

    << Petite Pluie ! >> ronronna Petite Boule de Grive en frôlant la truffe de sa sœur.

    La chatonne grise et blanche poussa les restes de la musaraigne vers sa sœur qui se coucha contre elle et mordit dans la chair juteuse. Les deux femelles étaient très proches, elles faisaient tous ensemble, bêtises contre bonnes actions. Souvent, elles allaient voir les anciens le soir, quémander une histoire et un peu de souris. Petite Pluie jeta un coup d'œil vers le ciel bleu, quel dommage de devoir rester cloîtré au camp par une si belle journée ! Soudain, une illumination lui vint. D'un bond la femelle se tourna vers sa sœur.

    << Allons explorer la forêt ! >> s'écria-t-elle. Elle poursuivit plus bas car Poil de Soleil avait tourné la tête en entendant son cri. << Allez, viens, on pourrait partir à l'aventure ! >>

    Petite Boule de Givre hésita un instant avant de miauler son enthousiasme.

    << Mais par où passer ? questionna la chatte noire et blanche en désignant d'un geste de patte Poil de Soleil qui s'était recouché.

    - Suis moi ! On va passer par la barrière de fougère !

    - Mais, il n'y a pas de passage !

    - Et bien on va le faire nous même ! >>

    Petite Pluie et sa sœur contournèrent la pouponnière et se placèrent devant la barrière de fougères. La chatonne grise et blanche scruta attentivement les plantes. Si à certains endroits, les tiges se mêlaient et formaient des nœuds à travers desquels on voyait à peine l'autre côté ; à d'autres endroits, ces dernières étaient plus lâches et seraient facile à écarter. Petite Pluie passa sa tête à l'intérieur, se contorsionnant, elle parvint à les écarter et peu à peu, avança entre les fougères. Derrière elle, elle sentait le souffle de Petite Boule de Givre sur ses pattes.

    Enfin, après une traversée difficile, les deux chattes furent de l'autre côté. Ebahie, Petite Pluie regarda les alentours. Même si elle voyait les arbres depuis le camp, se trouver à leur pied, à toucher leur écorce rugueuse, ils paraissaient mille fois plus grands. Un papillon voletait de ci de là. Ses yeux bleus grands ouverts, Petite Boule de Givre bondissait à sa suite. Les deux chatonnes s'élancèrent dans les hautes herbes. Pendant un long moment, elles coururent puis marchèrent et enfin arrivèrent à l'orée de la forêt. Là, Petite Pluie s'arrêta émerveillé. Devant elle s'étendait une large plaine, l'herbe était haute et sèche à cause du soleil. Ce dernier brulait le sol. Plus loin, d'autres arbres fleurissaient comme des pâquerettes dans un champ de blé. Petite Pluie se tourna vers sa sœur.

    << Où allons-nous maintenant ? >> s'enquit Petite Boule de Givre.

    Sa soeur réfléchit un instant. Soudain, une idée germa dans son esprit.

    << Allons du côté du nouveau Chemin Grondant ! >>

    Les anciens leur avaient déjà parlé de ce chemin terrifiant apporté par les Sans-Queue. Des nombreuses saisons auparavant, les Sans-Queue étaient arrivés avec d'immenses monstres horribles qui pendant des lunes et des lunes, avaient éventré la terre, faisant fuir le gibier et causant de longues famines. La Tribu de la Lumière et celle de la Pluie avaient beaucoup soufferts, contrairement à celles de l'Eclair et des Ténèbres, qui étant de l'autre côté des bois, ne risquaient rien, se régalant même des proies effrayées qui traversaient la frontière. Heureusement, les deux autres tribus avaient aidé les autres en les nourrissant. C'était une période de paix. Finalement, les Sans-Queue étaient partis pour quelques lunes avant de revenir et de construire de nouveaux nids, de l'autre côté du Chemin Grondant. Ils étaient ensuite partis, cette fois ci pour de bon.

    Petite Boule de Givre piétina le sol, hésitante.

    << Je ne pense pas qu'on devrait y aller, si les anciens en parlent avec autant de terreur, il y a une raison...

    - Aller ! Ce sera une aventure ! A moins que tu ne sois une souris mouillée...

    - Bien sûr que non ! Bon d'accord, allons-y. >>

    Petite Boule de Givre fit mine de s'éloigner quand sa sœur l'interpella.

    << Attends, tu sais vers où aller ?

    - Ça t'arrive d'écouter quand on te parle ? Plume Tigrée a dit que c'était du côté du soleil levant. >>

    La chatonne noire et blanche partit en courant, plongea presque entièrement dans les herbes hautes, les faisant remuer à son passage. Petite Pluie fila à sa suite. La fourrure grise et blanche de la femelle ondulait avec le vent. Une sensation de liberté l'assaillit. Les deux femelles arrivèrent, après un long moment, à nouveau dans des bois. D'un pas lent, elles le traversèrent et arrivèrent enfin au chemin grondant.

    Ce spectacle fit frissonner Petite Pluie. Elle se tapit au sol, le cœur battant, sa sœur à ses côtés. Devant elle s'étendait un ruban d'asphalte. Derrière, d'immenses nids, presque aussi grands que les arbres se dressaient, menaçant. Des ombres sur deux pattes se dressaient devant les nids, s'envoyant des objets colorés. Ça doit être ça, les Sans-Queue. Songea Petite Pluie en se redressant. De toute évidence, ils étaient trop loin pour les apercevoir. Curieuse, elle s'approcha de la surface grise. Lorsqu'elle posa ses pattes dessus, cela lui brûla les coussinets, les grattant et les écorchant. D'un pas hésitant, Petite Boule de Givre la rejoignit. Cette dernière se colla à sa sœur.

    << Petite Pluie, on devrait rentrer, Douce Lune va s'inquiéter et je suis fatiguée... >>

    Petite Pluie lécha doucement l'oreille de sa sœur. Elle se rendit compte alors de la lourdeur de ses propres pattes et hocha la tête. Alors que les chatonnes se retournèrent pour rejoindre la forêt, le sol trembla violemment, leur faisant perdre l'équilibre, une terrible vacarme retentit, emplissant les oreilles de la chatonne grise et blanche. En tournant la tête, elle remarqua une ombre gigantesque s'approcher d'elles, ses pattes courant d'une vitesse inouïe sur le ruban d'asphalte.

    < < Un monstre ! >> hurla-t-elle en courant le plus vite possible vers l'herbe.

    Alors que la bête arrivait droit sur elle, Petite Pluie bondit et roula sur l'herbe. Le vacarme s'intensifia et disparu : la bête était partie. Sonnée, Petite Pluie se retourna et se figea, le cœur battant, les yeux écarquillés. Au bord du Chemin Grondant, un tas de fourrure blanc et noir, gisait, ensanglanté.

     


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